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Souffrance au travail
Quand Des Cadres De La Poste Veulent « Euthanasier » Un Salarié.

Article paru sur : http://www.bakchich.info/societe/20....

Un postier dit son « mal-être » : dans leurs échanges de courriels, ses chefs hésitent, pour le « libérer », entre « l’euthanasie douce » et « l’euthanasie violente »…

Au mois de novembre dernier, un employé d’un bureau de poste du sud-est de la France dont la direction prépare une « réorganisation » se présente sur son lieu de travail « en état d’ébriété ». C’est la seconde fois que cela se produit : quelques temps auparavant, les mêmes faits lui ont déjà été reprochés. Interrogé dans le cadre d’une enquête administrative, le postier explique qu’il souffre d’un profond « mal-être ».

Cette détresse n’est guère étonnante : de nombreux observateurs s’accordent à considérer que les incessantes réorganisations auxquelles La Poste soumet son personnel depuis le début des années 2000 - au nom de l’amélioration de sa compétitivité – ont « des conséquences importantes sur les conditions de travail de ses salariés », et génèrent, dans certains cas, une souffrance au travail qui produit parfois de terribles drames (1). C’est même ce qui a motivé, en 2012, le lancement, par la direction du groupe, après que plusieurs postiers s’étaient donné la mort, d’un « Grand Dialogue » durant lequel ces restructurations ont été brièvement suspendues, et au terme de quoi l’annonce a été faite, en même temps qu’elles reprenaient – sur un rythme toujours très soutenu -, que l’entreprise serait désormais plus attentive au bien-être de ses employés.

Mais dans le cas dont il est ici question, les supérieurs hiérarchiques du salarié incriminé semblent s’être quelque peu affranchis de ce devoir de prévenance : c’est du moins ce qui ressort de l’échange de mails où ils s’interrogent, après qu’il leur a fait part de sa fragilité, sur le degré de sévérité de la punition qui doit lui être infligée.

Le 21 novembre – à 17 heures 39 –, la responsable des ressources humaines du bureau où travaille ce postier écrit, dans un courriel adressé à son directeur, avec copie au responsable de la production et au directeur territorial des ressources humaines : « Il convient désormais de cranter la sanction que tu souhaites lui infliger. Cela peut aller de l’exclusion temporaire au licenciement. »

Quelques heures plus tard, le responsable de la production répond : « Libérons-le de son mal-être, la réorganisation n’en sera que plus facile, proposez-lui une rupture conventionnelle, ça coûtera moins cher et ça ira plus vite qu’un licenciement. » Cette proposition, où la souffrance d’un salarié doit donc être soulagée par son licenciement, est, par elle-même, intéressante – pour ce qu’elle révèle, au-delà des discours officiels de la direction de La Poste sur son constant souci d’améliorer la « qualité de vie au travail » de ses agents, de l’état d’esprit de certaines de ses chefferies intermédiaires (2).

Mais la suite est plus édifiante encore, puisque le responsable de la production écrit, dans un mail daté du lendemain – vendredi 22 novembre, à 9 heures 55 -, que le directeur territorial des ressources humaines « préfère l’euthanasie douce ». Ce que lisant, l’intéressé précise son point de vue, qui est, écrit-il, que l’euthanasie douce « ne coûte pas forcément moins cher, mais » que « c’est plus rapide et moins conflictuel », écrit-il. Puis d’ajouter, « juste pour info », qu’il « en » a « parlé » avec un collègue, « qui est plutôt dans l’euthanasie violente, donc ok pour procédure de licenciement ». Puis de conclure : « Pourquoi pas une rupture. Mais attention, j’ai un délai pour la procédure disciplinaire, (et si le salarié) temporise puis, finalement, ne demande pas la rupture conventionnelle, on ne pourra pas non plus le licencier. Et inversement, je ne peux plus discuter d’une rupture si la procédure est entamée… »

L’Express a récemment relevé que La Poste n’avait « pas encore trouvé de successeur à son directeur de la communication parti cet automne », et que l’entreprise « cherche à recruter à l’extérieur une femme rompue à la conduite du changement et à la gestion de situations difficiles » : il faudra, notamment, qu’elle sache expliquer, deux ans après le « Grand Dialogue », le surprenant vocabulaire dont usent toujours certaines chefferies locales...

(1) Source : Poste stressante. Une entreprise en souffrance.

(2) En 2010, un directeur parisien de La Poste avait expliqué, dans un mail – déjà – adressé à certains de ses collaborateurs, qu’il entendait ouvrir « la chasse » aux mauvais vendeurs, « jusqu’à épuisement (rapide) des espèces qui » n’étaient « pas protégées »...